Depuis 2017, l’équipe des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Avicenne AP-HP a développé un parcours d’accompagnement pour les personnes ayant subi des violences sexuelles sur leur parcours migratoire.

Nous avons eu la chance d’accompagner ce projet hors du commun, sur plusieurs aspects depuis 2019. Rencontre avec Claire TANTET, Praticienne hospitalière dans ce service et Anaïs ANTHONIOZ, coordinatrice du parcours.

En quoi consiste le parcours santé sexuelle ?

Claire : C’est un accompagnement global de la personne avec des actions de prévention, de dépistage et de soins. L’équipe interdisciplinaire est composée de médecins infectiologues, médecin de la douleur, gynécologues, diététicienne-nutritionniste, psychologue, infirmière sexologue, sage-femme, médiatrice en santé et coordinatrice. Nous avons intégré dans le parcours des ateliers corporels et des groupes de parole. L’objectif est de créer une unité de temps et de lieu pour faciliter l’accès à des soins diversifiés, personnalisés et sécurisés pour ces personnes en situation de grande vulnérabilité et éloignées des soins.

Anaïs : Aujourd’hui nous avons étendu le parcours avec le développement de différents axes d’accompagnement : psychologique, social, voire même un appui juridique. Nous proposons un accompagnement individuel par le personnel de santé et un accompagnement collectif avec des intervenants externes. Il y a notamment un travail autour du corps, de l’image de soi et du lien social.

Comment ce parcours est-il né ?

Claire : le projet parcours a débuté à Bichat. Nous avons commencé avec l’ouverture d’une consultation autour de l’épisiotomie, petit à petit des femmes arrivaient avec des excisions, nous faisaient part des multiples violences dans leur parcours migratoire. Nous avons donc commencé à monter une petite équipe. Puis deux circuits se sont montés en parallèle. La démarche a pris de l’ampleur depuis 2017 puisque nous suivons désormais des hommes et des femmes victimes de violences, souvent en situation précaire avec un éloignement du soin et des droits.

Vous inspirez-vous de l’expérience d’autres hôpitaux?

Depuis 2017, l’hôpital Avicenne AP-HP et l’hôpital de Panzi en République démocratique du Congo développent un projet de coopération qui vise à apporter une aide aux personnes survivantes de violences sexuelles et à améliorer la prise en charge des infections sexuellement transmissibles (IST). Basées sur l’échange et la transmission de savoirs, les rencontres entre les équipes du service des maladies infectieuses & tropicales, du laboratoire de microbiologie clinique de l’hôpital Avicenne AP-HP et les équipes de Panzi ont lieu trois fois par an. Les actions engagées s’articulent autour de la formation des équipes de Panzi en matière d’infections virales et bactériennes, la mise en place d’une étude sur l’épidémiologie des IST sur plus de 1000 patient.es, l’identification des besoins techniques et diagnostiques, ainsi que la formation de l’équipe de l’hôpital Avicenne AP-HP sur la prise en charge des violences sexuelles.

Quelques mots sur vos parcours respectifs ?

Claire : Je suis médecin infectiologue, je travaille dans les violences sexuelles depuis 2015 depuis ma thèse de médecine générale sur les mutilations génitales. En 2016 j’ai été cheffe de clinique à Mayotte. J’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois à l’hôpital Panzi en République démocratique du Congo. On y accueille des femmes et hommes victimes des viols de guerre. Un partenariat est né, ce qui nous a permis d’échanger régulièrement des membres de nos équipes, pour une montée en compétences partagée.

Anais : Je suis coordinatrice de projet. Ma mission est de rechercher des fonds, évaluer et suivre, créer des partenariats avec l’extérieur, coordonner l’équipe d’intervenants internes et externes et les ateliers collectifs dans le cadre du parcours. Une partie de mon poste est dédiée au partenariat avec le Congo. A la base j’ai une formation dans le paramédical avant d’arriver à la coordination de projet. Je ne connaissais pas le monde de l’Hôpital avant d’arriver à Avicennes en 2018 !

Les sujets travaillés avec Ivolve, clarifier les rôles et l’organisation du service

En 2020, un travail d’encodage des rôles a été fait avec Anne-Muriel Bagur, associée d’Ivolve. Cela signifie que les rôles nécessaires au fonctionnement du parcours ont été identifiés, nommés, clarifiés puis inscrits dans un registre partagé à l’équipe. Au sein des rôles les périmètres de responsabilité ont été définis ainsi que les actions récurrentes. Un temps d’analyse a donné lieu à une proposition de design organisationnel puis au cours d’une journée en équipe, chacun et chacune ont pu retravailler leurs rôles et les affiner. De la supervision sur l’organisation a lieu tous les deux mois.

Anais : Il était nécessaire d’éclaircir qui fait quoi parmi l’ensemble des actions à mener ! Cela m’a vraiment intéressé de pouvoir éclaircir les choses, se sentir efficace, avoir une vision claire et partagée. Je sens que cela allège la coordination et facilite certains chemins de réflexion. Nous avons un point de repère si nous sommes perdus. Ce travail d’horizontalisation des décisions fait sens pour moi. C’est vraiment rare dans le milieu hospitalier, généralement très pyramidal. Cela nous a fait du bien de bousculer ce fonctionnement, il en est sorti de jolies choses, de la créativité, des pas de côté.

Claire : Notre organisation est consultable sur le logiciel Glassfrog. Cela fonctionne bien, dans notre quotidien, nous le consultons et utilisons les rôles. J’adore travailler là-dessus, car cela me permet d’être plus au clair, de me décharger d’un poids. Maintenant qu’on a clarifié qui s’occupe de quoi, j’ai beaucoup moins de préoccupations. Tout le monde joue le jeu. Il y a un passage progressif vers Holacratie qui n’est pas encore fait. Nous en parlons pour l’avenir. Le fonctionnement de notre service a vocation à être exporté dans d’autres services de maladies infectieuses. Nous avons déjà reçu des demandes dans ce sens. Cela nécessite d’avoir quelque chose de clair à partager et de facilement transposable. Les patients ont besoin d’une prise en charge pluridisciplinaire avec une douzaine d’intervenants qui ont des missions autres que celle dédiée au parcours. C’est important d’avoir les idées claires sur qui fait quoi pour ne pas faire les choses en double et rester efficace !

Des espaces de supervision et d’alignement de l’équipe

Un travail a également démarré avec Anne-Murielsur le relationnel dans l’équipe.

La supervision, individuelle ou collective, permet à chaque membre de l’équipe d’identifier ses retentissements personnels dans les situations rencontrées au travail, de prendre sa part de responsabilité dans son vécu et d’être davantage acteur, actrice dans son positionnement.

L’analyse de la pratique professionnelle vise à développer des compétences relationnelles qui permettent à l’équipe de vivre plus sereinement ses interactions avec ses pairs et partenaires ou patients.

Claire : Nous faisons régulièrement des mises en situation inspirées de la méthode ESPERE, ou du théâtre systémique. Cela nous permet de faire un travail double à la fois sur les situations au sein de l’équipe mais aussi avec les patients. L’équipe est particulièrement exposée aux récits traumatiques et de souffrance. Pour ma part, cela me fait du bien departager avec les autres, voir comment ils réagissent. Le sujet des violences sexuelles est très dur, ces espaces là mettent du doux entre les membres de l’équipe dans un quotidien contraint et très rythmé. C’est un moment de respiration pour prendre soin et s’offrir du recul. Ces temps ont pris une dimension intimiste, chaleureuse qui est le reflet de ce qui existe déjà dans l’équipe. Les espaces pour s’occuper des tensions sont identifiés, cela évite une invasion dans le travail au quotidien !

Anais : Ces espaces dédiés, où l’on est tous ensemble sont de vrais temps sécurisés où nous pouvons nous dire les choses. C’est inhabituel, en milieu hospitalier !
Une journée type du parcours est généralement assez speed. Se poser permet de sentir l’équipe, de profiter des gens, de savoir où ils en sont par rapport au parcours.

Une formation à destination des accompagnants

Ivolve a également accompagné Claire Tantet au sein du service des maladies infectieuses et tropicales du G.I.H. Bichat-Claude Bernard sur la conception d’une formation pour améliorer le repérage, l’accompagnement et l’orientation des femmes ayant subi des mutilations génitales. Cette formation sera étendue au dépistage et à l’accompagnement des hommes ayant subi des violences sexuelles au cours de leur parcours migratoire. Cette formation est le fruit d’un groupe de recherche composé de diverses spécialités : infectiologues, méthodologistes etc.

Claire : Elle a été mise en place avec Emmanuel Levard sur 3 sessions de 2 jours. Elle est destinée aux médecins, infirmiers, secrétaires, aide-soignants, et utilise l’approche expérientielle innovante de type « théâtre forum » (pratique de théâtre interactive permettant d’aborder une problématique collective). Elle permet de mettre les stagiaires en situation, pour qu’ils comprennent mieux les difficultés vécues par les femmes. Cette compréhension favorise l’écoute et un accompagnement permettant d’ouvrir le dialogue. En 2022, nous allons lancer une formation sur les violences faites aux hommes.

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